Ce billet se veut un exemple parmi tant d’autres pour ceux et celles qui ne comprennent pas de quoi l’on parle lorsque certaines personnes affirment que les contes peuvent « aider à vivre ». Ce n’est pas la première fois que je rencontre ce genre de situation où des contes résonnent avec ma vie personnelle. Ce n’est sans doute pas la dernière…
Lors d’une séance de travail avec des amies conteuses la semaine dernière, l’une d’entre elles (Makoto) raconte l’histoire que l’on connait chez nous comme
« L’oiseau aux mille couleurs », mais que l’on retrouve souvent sous le titre « Le roi et l’oiseau ». Ce n’était pas la première fois que je l’entendais, mais elle a pris un tout nouveau sens pour moi cette fois… La voici résumée:
Il était une fois un roi qui avait un oiseau merveilleux. Un oiseau dans une cage dorée, spacieuse, confortable.
Chaque jour, le roi demande à l’oiseau ce qui lui ferait plaisir. Chaque jour l’oiseau répond : « Je voudrais que tu me donnes ma Liberté. » Mais le roi ne veut pas la lui donner.
Un jour, l’oiseau demande au roi d’aller rendre visite à ses congénères, sur l’île lointaine où jadis il le captura, pour leur donner de ses nouvelles. Lorsqu’il reviendra, il lui racontera ce qui se sera passé. Et le roi ne peut lui refuser cette faveur.
Le roi voyage. Il parvient finalement sur l’île lointaine, emprunte le chemin qui conduit à la clairière où se dresse l’arbre immense occupés par des oiseaux identiques au sien. Il dit venir pour donner des nouvelles de son protégé. Une oiselle s’approche du roi, tout en restant à une distance respectable. Elle explique qu’elle est la grand-mère de l’oiseau du roi. Et le roi raconte : la cage, l’eau claire, la nourriture abondante, le confort… Lorsqu’il prononce le dernier mot de son histoire, l’oiselle qui l’écoutait tombe raide à ses pieds : elle est morte. Le roi ne parvient pas à la réanimer et il reprend le chemin de son pays, l’âme torturée d’avoir causé la mort et de devoir raconter ça à l’oiseau qu’il garde dans sa cage. Rentré au palais, il fuit, évite de passer devant l’oiseau qui l’interpelle.
Un jour, il finit par s’arrêter devant lui. Et l’oiseau lui demande comment les choses se sont passées. Il veut entendre parler du voyage, de son île, de son arbre… A-t-il vu sa famille? A-t-il raconté comment sa vie se déroulait? Le roi répond, question après question. Il finit par dire comment les choses se sont terminées pour la grand-mère de l’oiseau. A son denier mot, l’oiseau tombe au centre de la cage dorée! Le roi est désespéré : il a causé deux morts! Il essaie de réchauffer l’oiseau, il lui parle, le berce. Rien n’y fait. Il pose l’oiseau sur le rebord de sa fenêtre et songe à l’endroit où il l’enterrera. Quand il se retourne : plus d’oiseau. Celui-ci est perché sur la branche de l’arbre et il chante à tue tête. Lorsque le roi lui demande de revenir dans sa cage, l’oiseau refuse.
L’oiseau dit au roi de se consoler : l’oiselle de l’île – sa grand-mère – n’est pas morte, elle a simplement donné à son petit-fils des instructions sur la façon de prendre sa liberté. Le roi en a été le messager, ignorant le véritable sens du message qu’il portait. « La liberté, il ne sert à rien de la demander, il faut la prendre », conclut l’oiseau.
[J’ai adapté une version courte de l’histoire repérée en ligne, mais celle de Michel Hindenoch (trouvée ici) est plus proche de l’histoire que des conteuses autour de moi – notamment ma fée-marraine – racontent.]
Une personne très proche de moi quitte bientôt pour un long voyage vers une destination éloignée. J’en éprouve beaucoup d’inquiétude et j’appréhende son absence à venir… Je ne peux la retenir (même si je le souhaite) et je ne veux pas non plus brimer son élan, mais cela me torture parce que j’aimerais la garder avec moi, en sécurité. Je me suis évidemment demandé ce qu’elle pense trouver ailleurs, alors que la vie a tant à lui offrir ici… près de moi.
Cette fois, le conte de « L’oiseau aux mille couleurs » a résonné très fort en moi. J’ai compris comment se sent le roi qui veut garder l’oiseau dans sa cage. Il n’est pas mal intentionné, mais il aime mal son oiseau, qui n’est pas une possession matérielle comme ses autres trésors.
Je sais évidemment qu’il faut laisser libre ceux que l’on aime. C’est la chose moralement adéquate à faire… Mais le conte m’a permis de mieux comprendre que cette personne aimée ne fait que « prendre sa liberté », sans vouloir me faire souffrir. C’est moi qui me fait du mal. Cette histoire entendue au bon moment a vraiment servit de baume et de catharsis pour une crise intérieure qui m’habitait, en plus de m’indiquer une façon d’aimer mieux. Je ne veux aucunement mettre mes proches « en cage », même métaphoriquement. Cette personne aimée prend sa liberté et je dois la laisser s’envoler. J’ai bien compris le message.
bjr Jean-Sébastien
heureux de lire tes riches réflexions // vécu-concret
… Concernant ce conte, une question « marginale » me vient : lui sais-tu un numéro dans la classification internationale ATU ?
Bonjour Jean-Pierre. Je viens de traverser le « Motif Index » avec le mot « bird » et je n’ai rien trouvé d’assez proche. Avec le mot « freedom », j’ai repéré ceci:
« L451.4. Parrot prefers cold wet nest in freedom to luxury in royal palace »
Ce n’est pas exactement la même chose, mais ça me semble assez proche. Selon certains textes, il s’agirait d’un conte soufi attribué à Rûmi. Je ne suis pas certain que les contes de sagesse, a fortiori coloré de soufisme, aient été répertoriés par Aarne-Thompson.
Au plaisir!