Notons que je me sens cette liberté parce que j’ai fait le travail en amont de consulter plusieurs versions. Il m’apparaît ainsi que je saisis assez bien la syntaxe du conte pour ne pas la trahir. Ainsi, dans le cas qui nous intéresse…
- Compte tenu du titre de cette série de billets, on aura compris que mon poisson est petit et doré. Je ne précise pas son espèce. L’or solaire, la grande puissance magique d’un si petit être, le fait que le poisson ne soit pas très intéressant pour le pêcheur qui consent à le remettre à l’eau sont autant de raisons qui motivent ce choix.
- Ma version comptera sept demandes comme dans la seconde version collectée par Afanassiev. C’est beaucoup, mais c’est plus fort que moi. Je suis attiré par les chiffres « ronds » et symboliques des contes: trois épreuves, soixante-dix-sept chevaux, treize mots, etc. Donc, sept demandes: nourriture, maison, argent, gardes, royauté, « impérialité », divinité.
- Comme mentionné, l’apparence de la mer qui indique l’état d’esprit du poisson et les couleurs de l’eau qui s’assombrissent m’apparaissent un motif très parlant pour marquer la progression (négative) d’étape en étape. Je conserverai donc ce motif de la version 1 des frères Grimm.
- J’ai gardé une comptine d’appel, mais j’ai décidé d’écrire la mienne, plus facile à me mettre en bouche et qui insiste sur des éléments qui me semblent importants. Ça donne ceci:
« Petit poisson, poisson joli
Ce n’est pas pour moi que je suis ici
Ma femme Isabelle m’envoie te dire
Ce qu’aujourd’hui lui ferait plaisir »
Et le poisson de répondre: « Qu’est-ce qu’elle veut encore? », avec une voix de plus en plus lasse… - Lorsque j’ai raconté l’histoire de mémoire à mes enfants, mon plus jeune m’avait demandé un conte qui inclurait des figurines avec lesquelles il avait jouées pendant la journée. Sur le coup, j’ai improvisé du mieux que j’ai pu… Cependant, cette expérience m’a décidé à ce qu’après chaque demande le poisson suggère au pêcheur de remettre ses filets à l’eau. Il lui fait alors cadeau d’objets magiques permettant aux demandes de s’actualiser. Par exemple, une vieille marmite donne de la nourriture, des outils rouillés construisent seuls la nouvelle demeure en une nuit, etc. Ça me semble plus intéressant que d’avoir le poisson qui dit « C’est déjà fait », mais tout aussi magique. De plus, ça matérialise les choses pour le public qui joue à deviner ce qu’un nouvel objet donnera… Voilà certainement une touche plus personnelle, mais qui me semble respecter l’esprit du conte.
- Dans une des versions du père Lemieux, j’ai bien aimé que le conteur précise que la vieille veuille des gardes pour protéger ses biens nouvellement acquis, notamment son argent. Les difficultés du pêcheur à rejoindre son épouse, de plus en plus difficile d’accès en raison de ses titres de noblesse, constituent un élément comique et symbolique qui fonctionne bien.
- L’entrée Wikipedia anglophone mentionne des finales modernisées (et télévisées!) différentes de celles des versions écrites que j’ai consultées. Au poisson qui lui demande ce qu’il souhaite, le pêcheur avoue finalement qu’il veut simplement que sa femme soit heureuse. Le couple retrouve sa situation initiale de pauvreté, mais aussi le bonheur d’être ensemble. J’ai hésité longtemps parce que la punition subie par le couple pour avoir demandé la divinité me semble être une composante essentielle de cette histoire morale. Cependant, je trouve très intéressant qu’on demande au pêcheur ce qu’il veut pour lui même alors qu’il n’est que le messager des demandes de sa femme depuis le début du conte. Il demeure que c’est le pêcheur qui a sauvé le poisson au départ et qui trouve exagérées les demandes exponentielles de son épouse. Contrairement à elle, il sait rester humble et son altruisme est réellement désintéressé. De plus, les derniers voeux ont contribué à diviser le couple… Ce rapprochement final en happy end à l’américaine m’est apparu irrésistible (j’aime trop les histoires qui finissent bien!). Notons que tous les biens acquis sont perdus.