Tenir conte

– J’te cré pas! – Ben, j’te l’dis! (Faut-il croire aux contes? 1/3)

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Dany avec son dragon en boîte

Le jeudi 28 février dernier, je suis allé entendre une conférence du physicien Dany Plouffe, diplômé de l’Université de Sherbrooke, travaillant maintenant à McGill, prix Sceptique 2011 (attribué par l’Association des sceptiques du Québec).  La communication s’intitulait « Science, superstition et dragon magique« .  Je connaissais Dany déjà depuis le temps où il organisait des débats étudiants, mais c’est le descriptif de l’activité qui m’y avait attiré:

« Si quelqu’un vous abordait un beau matin, en vous disant qu’il possède un dragon magique, que seul lui peut voir, y croiriez-vous ? Probablement pas. Mais si ce même individu vous disait plutôt qu’il peut contacter des fantômes, ou voir votre aura, y croiriez-vous ? Possiblement. Cependant, est-ce que croire en un dragon magique est vraiment différent de croire aux fantômes et aux auras ? L’humain semble avoir une tendance naturelle à adopter toutes sortes de croyances. Comment fait-on pour discerner le réel des superstitions ?

Cette présentation vous transportera dans l’univers des croyances et des superstitions, et mettra au défi votre propre perception du réel. Elle mettra également en relief les caractéristiques liées aux superstitions, ainsi que les bénéfices d’une approche scientifique pour analyser les allégations liées à celle-ci. »

[Un article de l’hebdo local résume sa démarche, alors qu’on peut trouver en ligne une conférence TEDx où il présente les mêmes idées.]

J’ai beaucoup aimé la conférence qui me ramenait à des discussions que j’ai souvent avec des amis à l’esprit plus scientifique que moi… Moi le conteur, rêveur de mondes fantastiques, croyant (en une divinité pas trop bien définie, mais fortement inspiré du catholicisme) de surcroît.

En gros, Dany passait en revue les divers arguments qu’il se fait servir par des gens qui adhèrent à toutes sortes de croyances (fantômes, tables qui bougent, etc.) et les démolissaient un à un.  J’ai quand même tiqué un peu quand il a (assez rapidement selon moi) balayé l’argument de « Ça me fait du bien d’y croire. »  En gros, il parlait des conséquences désastreuses de croire en quelque chose qui pourrait s’avérer dangereux par la suite. Il évoquait qu’il n’était pas souhaitable de laisser quelqu’un dans l’ignorance et s’inquiétait des risques de dépendances de certaines personnes aux gourous et charlatans.

Mais cela suppose que parce qu’on accepte de surseoir à son doute temporairement, on cesse de devenir critique définitivement.  N’y’a-t-il pas plusieurs niveaux de croyances?

Qu’on me comprenne bien : je comprends et j’admire la démarche de Dany.  Dans sa conférence, il nous donne au moins un exemple vidéo de charlatan qui abuse effrontément de gens ayant souffert la mort d’un proche.  J’ai seulement l’impression que « Croire pour se faire du bien » est un phénomène plus complexe qui explique, partiellement du moins, l’attrait pour les contes.

*****

En parallèle, je viens de lire l’essai L’espèce fabulatrice de Nancy Huston (Actes Sud/Léméac, 2008).  C’est une lecture qui m’apparaît essentielle pour les conteurs et les fabulateurs de toutes sortes.  On a parfois accusé l’auteure d’être simpliste (et c’est vrai qu’elle prend parfois des raccourcis), mais l’ouvrage en vaut la peine.  Il s’y trouve des passages magnifiques comme…

« À l’instar de la nature, nous ne supportons pas le vide. Sommes incapables de constater sans aussitôt chercher à « comprendre ». Et comprenons, essentiellement, par le truchement des récits, c’est à dire des fictions. »

« Les gens qui se croient dans le réel sont les plus ignorants, et cette ignorance est potentiellement meurtrière.

Pour nous autres humains, la fiction est aussi réelle que le sol sur lequel nous marchons.  Elle est ce sol. Notre soutien dans le monde.»

Le chapitre 2, intitulé « Moi, fiction », est particulièrement frappant alors qu’elle décompose son identité en choisissant de ne répondre sur un formulaire qu’à ce qui n’est pas basé sur un récit, ce qui est purement factuel.  Inutile de dire qu’il ne reste pas grand-chose de ce qui fait « Nancy Huston ».  Le nom? Une généalogie et des symboles que l’on se transmet.  Le sexe? Au-delà des différences biologiques, une construction sociale et culturelle. La date et le lieu de naissance? Le calendrier est une convention et les espaces géographiques sont pétris d’histoires.  La race? La religion? L’affiliation politique? Le métier? Tous des fictions. Du moins, des grands récits que nous avons construits collectivement pour donner du Sens à notre monde.

J’ai besoin de Sens.  Sans les histoires, notre vie en a si peu…  Comme l’écrit Nancy Huston, les grands primates naissent, mangent, forment des liens, copulent, luttent et meurent.  Ce qui nous distingue d’eux, c’est ce besoin de Sens,  Raconter des histoires pour doter le monde d’une structure, d’une organisation, même si elle est parfois absente à priori.

Dans sa conférence, Dany Plouffe évoque la fascination que les scientifiques éprouvent devant l’infiniment grand ou petit, la physique quantique, les merveilles du fonctionnement de la nature. Il a bien sûr raison.  Et pourtant…

Tellement de choses dans notre monde sont expliquées, démontrées, comprises, connues, reconnues…  Pourtant, de connaître le fonctionnement du soleil, de la lune, de l’hiver, de l’orage ne nourrit pas nécessairement.  Du moins, pas au même niveau. C’est éducatif, intéressant parfois, mais ça ne donne pas vraiment de saveur, de goût, d’images autour de ces phénomènes. Ou plutôt ce sont des images dans un registre de couleurs particulier… qui ne suffisent pas toujours à tous.

Pourquoi une explication scientifique ne me suffit pas pour m’émerveiller, me réconforter?  Je ne saurais dire.  Devant des joies intenses (l’amour à 14 ans, la naissance d’un enfant) ou des traumatismes importants (mort d’un parent, perte de repères, exil) le fait de comprendre scientifiquement ce qu’il advient est-il suffisant?  Est-ce qu’il ne faut pas que s’ajoute une couche de Sens pour accepter, relativiser, pouvoir partager, raconter?  Oserais-je dire qu’il faut une explication plus « spirituelle »?

Encore Nancy Huston:

« La science ne produit pas de Sens, seulement des corrélations, indépendantes de nous. Or, nous restons fragiles et le monde reste menaçant.  Aucune découverte scientifique ne peut nous rendre immortels, ni même éliminer de notre existence conflits et douleurs.

On ne s’exclame plus, quand survient une éclipse de la Lune: La fin du monde approche! Mais l’explication rationnelle de l’éclipse de la Lune – ou des maladies, ou de la foudre, etc. – n’entame en rien notre besoin de chercher et de trouver du Sens dans notre vie. »

Quand je raconte mes histoires d’Au-delà, je me doute bien que ce n’est pas exactement ce qui se produit quand on meurt (quoique la version de l’outre-monde de Cormac MacArt est séduisante…), mais toutes ces images m’aident à composer avec l’inconnu d’un mystère beaucoup trop grand pour moi.  Y’a-t-il une plus grande perte de Sens que la mort?

Quand je parle de « croire aux contes », je ne veux pas dire croire qu’existent ou qu’ont
« vraiment » existé un tailleur exceptionnellement chanceux, un loup qui parle, une bête-à-sept-têtes, une princesse belle comme le jour (quoique…), un ogre sorcier, un canot volant, etc.  Je veux dire « croire à la puissance des contes de changer une personne, des vies et peut-être le monde. »

À qui se demanderait comment cela se peut, je rappelle cette citation de Dan Yashinsky, déjà évoquée ici:

« …Chaque fois que je conte devant un public, j’essaie de me souvenir que le héros de mon histoire est peut-être assis là, juste en face de moi.  Il ou elle est celui ou celle de qui l’on dit qu’il apprend lentement, qu’il ou elle est bête, celui ou celle qui risque de devoir abandonner ses études.  Pour ceux ou celles-là, l’histoire est bien plus qu’une suite divertissante de mots.  Ils écoutent parce qu’ils veulent que l’histoire soit vraiment la leur, une histoire qui puisse même contenir leurs folles passions, leurs peurs, leurs inconduites insensées et leur chance de pouvoir changer. »

[Lire la seconde partie de ce billet]

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