Tenir conte

Une (dé)marche après l’autre

La parade quotidienne de la Marche des conteurs. Crédit photo: Cécile Fournier

Il y a un mois je complétais la Marche des conteurs dans le Nord-Pas-de-Calais.  Plusieurs m’ont demandé de parler de mon voyage, mais je voulais laisser décanter un peu avant de voir ce que je pourrais en dire d’intelligent…  (Oui, oui, évidemment que c’était fantastique et je me considère choyé d’avoir pu participer à cette expérience.)

 

 

Au moment d’écrire ces lignes, les Semeurs de contes repartent pour une troisième virée, de Rivière-du-loup à Mont-Joli, cette fois-ci.  Je ne peux pas m’empêcher de regarder mes bâtons de marche avec une certaine nostalgie des aventures de l’an dernier…

Il est certain que mes réflexions sont fortement teintées par le fait que j’ai eu le privilège de faire deux marches différentes en moins d’un an: la 2e Grande virée des Semeurs de contes au Québec en septembre 2014 et la 9e Marche des conteurs en France en août 2015.  La proximité de ces deux expériences reliées, mais très différentes l’une de l’autre, colore forcément mon propos… Propos qui sera d’ailleurs articulé autour des axes suivants :

Entre conteurs

Faites le calcul : 7 conteurs et 1 accompagnateur côtoyés pendant une douzaine de jours le long du Fleuve St-Laurent ou 27 conteurs, 3 techniciens et 4 personnes à la logistique côtoyés pendant un peu moins de sept jours dans les « Flandres françaises »…  Forcément, la Marche des conteurs en France permet difficilement de rencontrer tous les participants.  À ce chapitre, je me sens plus proche des Semeurs que j’ai accompagnés sur la route 132 – ne serait-ce que du fait que j’ai davantage de chance de les revoir dans le milieu du conte québécois.

Cela écrit, la Marche est tout de même l’occasion de merveilleuses rencontres.

 

Fin du spectacle dans la prairie, au Parc d’Ohlain. Crédit photo: Cécile Fournier

Jihad Darwiche aimait à rappeler à ceux qui nous accueillaient que 11 nationalités étaient représentées lors de la Marche 2015 : Québec, France, Suisse, Belgique, mais aussi Italie, Grèce, Algérie, Tunisie, Liban, Mauritanie, Vénézuela… même Cuba.  (Pourquoi est-ce que j’arrive à douze?)  Bon, il est vrai que plusieurs de ces transfuges vivent maintenant en France.  Qu’à cela ne tienne, toutes ces couleurs produisaient un arc-en-ciel somptueux.  Et c’est sans compter avec les différentes régions de France et leurs caractéristiques propres…  Les accents du Sud, du centre ou du Nord (nous étions en visite chez les Ch’tis après tout), les histoires locales de chacun, les patois, etc.  J’ai maintenant des contacts aux six coins de l’Hexagone et je crois bien m’être fait quelques amis que j’espère sincèrement revoir tant ça a « cliqué » entre nous : Muriel, David, Christel, Nathalie, Ralf, Christine, Sylvain, Clélia, Clément, Eugène, etc.  J’en passe.

J’ai eu le bonheur d’arriver avec mes chansons (notamment « Le grain de mil », de l’Acadie voisine) et de les partager avec mes compagnons.  De savoir que certains sont repartis avec des airs de chez nous, ça fait un velours.  Les traditions voyagent et se mélangent.  Évidemment, j’en ai appris quelques nouvelles de mon côté.

Entre humains

Un article de la presse locale sur le rapport avec les hébergeants…

Mentionnons que la Marche vise aussi la rencontre avec le public.  Pas besoin d’être conteurs pour avoir une expérience riche et nourrissante qu’il faut valoriser et à laquelle on peut s’abreuver.  Ainsi, à partir de 16 h – 17 h chaque fin de journée, nous passions du temps avec les gens qui nous hébergeaient…  Daniel et Chantal à Dunkerque, Bernard et Josiane à Steenwerck, Jean-Pierre et Chantal de la ferme Le chant des oiseaux à Sémeries, Marc à Valhuon…  Imaginez le travail logistique en amont pour pairer ceux qui fument avec ceux qui tolèrent la fumée, les végétariens avec les végétaliens, ceux qui sont allergiques aux animaux avec des foyers qui en sont exempts…
Chapeau à l’organisation!  Merci, Framboise, Cécile, Françoise et Najoua.

Nous retrouvions bien quelques conteurs à partir de 19 h 30 (en groupe de 4, 5, 6, 7 ou même 9 un soir) à la veillée pour le spectacle et le repas.  Il reste que les soirées se terminaient avec les membres du public chez qui nous dormions.  Ce peut être très agréable… mais j’avoue que je me suis ennuyé des conversations de fin de soirée qui soudaient les Semeurs de contes.  Bon, les Semeurs étaient souvent crevés et tombaient de fatigue, mais à s’endormir et à s’éveiller les uns près des autres, on se rapproche…

Les Semeurs cherchent aussi à rencontrer les membres du public et à découvrir les histoires qu’ils portent.  L’idée, c’est de s’enrichir des histoires locales et de ne pas arriver avec nos contes comme si la région d’accueil n’avait rien à nous dire.  À l’an 1 de la Grande virée, les conteurs-marcheurs collectaient un sage local et construisaient le lendemain de nouveaux contes, à partir des fruits de ces collectes… Exigeant.  L’an dernier nous étions encore à la recherche de la formule magique pour réussir la quadrature du cercle : nous invitions des conteurs locaux à se joindre à nos spectacles.  Quelques beaux moments, mais aussi certaines difficultés…  Je constate que les Semeurs version 2015 ont des invités locaux à tous leurs spectacles.  Hâte d’entendre parler du résultat!

Apprivoiser un territoire

Le paysage du Nord-Pas-de-Calais vu du Parc d’Ohlain… Et pourtant il a fait beau tout au long du voyage…

Au Québec comme en France, les paysages parlent.  Arpenter les chemins, c’est s’imprégner de tableaux magnifiques pour les yeux, de sons, de chansons et de mots dans les oreilles, d’odeurs plein les narines, de reliefs (dans les jambes), de vents et de soleil sur la peau, etc.  La meilleure façon de se familiariser avec une région, c’est de la parcourir à pied. Il reste qu’il y a Marche et marche.

Au Québec, la marche est le principal moyen de transport.  Il y a entre 15 et 25 km à faire par jour.  Si on ne marche pas, on ne se rendra pas au bout de l’itinéraire prévu; on ne sera pas arrivé à la salle pour le spectacle du soir.  Beau temps, mauvais temps, on tape le macadam en longeant la route, souvent avec les camions qui vous rasent les mollets…

Lors de la Marche des conteurs cette année, nous avons marché peut-être une vingtaine de kilomètres en tout et pour tout.  Très peu de marche sur les routes, surtout dans les rues de petits bourgs et le long de sentiers pédestres.  On me dit qu’il y a des années, selon les régions (montagneuses ou non), où il y a pas mal plus de trajets marchés…  Je veux croire sur parole, mais je suis sceptique.  Compte tenu de l’apéro à 11 h 30, du repas de midi qui s’étire jusqu’à 14 h, d’éventuelles siestes (pas à chaque jour, mais presque…), des pots de l’amitié avec les hébergeurs vers 16 h…  Re-apéro vers 18 h avec certains hébergeurs… puis soupers bien arrosés après les spectacles…

Que l’on me comprenne bien : la dégustation agro-alimentaire est un rythme d’expédition qui me convient tout à fait!  Et c’est là une autre façon très épicurienne de découvrir une région (par ses bières, ses vins, ses alcools… et son Maroilles – le fromage local qui est utilisé partout).  Vue une vilaine blessure au genou qui m’accablait alors, j’ai béni ce Plat Pays.  J’ai particulièrement apprécié cette Marche qui savait prendre le temps de (bien) vivre…

En même temps, plusieurs ont souligné que c’est lors de ces randonnées que l’on arrive à vraiment rencontrer les autres conteurs.  On décolle en trombe avec les premiers de file…  On se fatigue, puis on attend le gros de la troupe… On s’essouffle, puis on côtoie les plus contemplatifs.

De l’âme des lieux

Le fait est que la Marche des conteurs donne aussi l’occasion de découvrir une région en

Le Jardin d’eau du poète-jardinier Gérard Guiot.

visitant certaines attractions et certains lieux magnifiques.  Compte tenu des journées chargées, les Semeurs de contes ont peu de temps pour de telles visites.  Le longe-côte dans la Mer du Nord, le Chœur de lumière à l’église de Bourbourg, le Jardin d’eau et de poésie de Gérard Guiot près de Cassel, le Musée du textile et de la vie sociale à Fourmies… Autant de lieux qui témoignent de la vie d’une région agraire, puis industrielle, riche d’histoire, essentiellement détruite par la guerre puis rebâtie.

La coque en construction du Jean-Bart, magnifiquement éclairée par Ronan.

Et que dire des lieux où nous avons conté!  Pour ma part,

Le verger du Parc de l’Abbaye à Liessies, bel éclairage de Morane

 

 

 

 

Le « Choeur de l’umière » à Bourbourg, oeuvre d’Anthony Caro.

Conter en extérieur ou en intérieur dans des lieux aussi chargés symboliquement, c’est incroyablement inspirant… et parfois extrêmement difficile.  Parlez-en à mes collègues qui ont eu à conter dans une église transformée par un artiste contemporain, dans un ancien bunker nazi où des prisonniers étaient morts, dans un château sous les cris d’un coq noctambule, dans des granges… fragiles, sur la scène d’un gymnase, etc.  On ne peut pas conter « neutre » quand on investit de pareils espaces.

Évidemment, nous n’avons pas le même rapport à l’Histoire au Québec qu’en France, mais je me demande si nous ne sommes pas un peu frileux quand vient le temps de trouver des sites de contage.  Oui, nous racontons bien dans les mines et les parcs, sur le bord des quais ou sur des grèves, dans d’anciennes forges, mais ne reste-t-on pas le plus souvent cantonnés aux bars et aux cafés?  Est-ce que le public (déjà trop rare) nous y suivrait?

En conclusion : Et la Belgitude?

Pour terminer, je m’en voudrais de ne pas mentionner la surprise agréable de cette aventure : Il était prévu que mon voyage m’amène à rencontrer des conteurs français lors de la Marche en Nord-Pas-de-Calais.  Cependant quand j’ai choisi de prendre l’avion sur Bruxelles, je n’avais pas réalisé à quel point mes visites en Belgique avant et après la Marche me permettraient de faire la connaissance d’une communauté aussi généreuse et dynamique que celle des conteurs de là-bas. S’il est vrai que les Québécois jouissent en Europe d’un « préjugé favorable » (ç’en est parfois gênant…), j’ai pu goûter la mythique hospitalité de la grande famille des conteurs.  Je vous jure, ça touche droit au cœur et ça laisse pantois.  Merci à Pascal Mitsuru-Guéran pour l’appel qu’il a lancé auprès de sa Fédération… et auquel de nombreux conteurs et conteuses ont répondu.

Statue de Nasreddine à Bruxelles. Seul un conteur pouvait me la faire découvrir…

Qu’il s’agisse des attentions de Pascal et de son épouse Andrée dès l’arrivée, du logement chez Élisabeth et Cindy ou chez la grande Christine, des virées organisées par Pierre d. L. (mon guide touristique personnel), de l’aide d’Andrée pour trouver un ostéopathe quand mon genou a flanché (un exploit en août!), du transport par Ria (mon ambulancière-déménageuse), de la fête chez Sophie (avec Ahmed, Valérie, Julien et les deux Pierre) où l’on a chanté Brel, des repas ou des bières partagées avec Étienne, Ria, Pierre G. et Magali.  Jusqu’à Cindy qui s’est assurée au dernier jour que je reprenais l’avion plus sage qu’à mon arrivée…  Leurs voix lors de nos discussions passionnées et passionnantes se croisent et se mélangent dans ma tête…

En espérant avoir la chance de leur remettre un peu de leur hospitalité à tous… Ma maison est bien sûre ouverte si vous passez par Sherbrooke, Cantons de l’est/ Estrie, province de Québec, au Canada.  Idéalement, pas tous en même temps!

 

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