Conter le Pays

Une version condensée de ce billet a été publiée dans la section « Prise de parole » du site des éditions Planète Rebelle.

La récente fête nationale qui s’est tenue sous le thème « Entrez dans la légende » m’a troublé à divers égards.  À priori, je crois évidemment qu’il faut nous réapproprier notre patrimoine oral.  Pour moi, c’est notre assise, nos racines.  J’en ai souvent parlé sur ce blogue.  Jusqu’à récemment, je trouvais que les conteurs et observateurs du milieu qui s’inquiétaient de la calcification, voire de la muséification du conte s’en faisaient pour rien.  Je n’en suis plus aussi sûr…

D’un côté, j’ai bien sûr été ravi que le conte fasse (enfin!) partie des festivités, que mes collègues conteuses et conteurs essaiment dans les villages et les fêtes de quartier.  J’en ai moi-même bénéficié.  D’un autre, ça m’a permis de constater à quel point, dans l’esprit des québécois, le conte est coincé dans le folklore, dans tout ce que ce mot peut péjorativement signifier de vieillot et de poussiéreux.  Pire, j’ai eu l’impression que les conteurs eux-mêmes ont de la difficulté à envisager leur art autrement qu’en ceinture fléchée et avec un accent du terroir.  (Et, s’il vous plaît, ne me lancez pas sur la façon dont la plupart des conteurs traite les histoires des Premières Nations…)

Pour moi, les contes sont Actuels.  Et cela sans qu’il y ait besoin de les actualiser en y intégrant téléphones cellulaires pour appeler le Diable ou références à l’aviation lorsqu’un canot s’envole…  Ils sont actuels parce qu’ils parlent fondamentalement de qui nous sommes comme êtres humains, avec nos désirs d’affranchissement, nos tares, mais aussi notre bravoure face à l’adversité.

Une des choses qui m’avait d’abord séduite du conte, c’est à quel point il traverse les frontières et permet de s’ouvrir aux autres cultures.  L’injonction de cette année – « Faites-nous du conte québécois ! » – entendue chez plusieurs organisateurs de fêtes, m’est apparue au contraire comme tenant d’un certain repli sur soi.  De tous temps, les contes et les mythes ont été récupérés par les politiciens comme reflets de l’« âme du Peuple ». S’il n’est pas faux, cet amalgame réducteur a trop souvent été funeste, alors que les identités nationales auxquelles renvoyaient les récits ainsi récupérés se voulaient extrêmement restrictives.

Mais, dites moi donc, c’est quoi un conte typiquement québécois ?  La chasse-galerie ?  Une légende du Poitou (possiblement d’origine germanique, d’ailleurs) adaptée à notre contexte !   La légende de la Corriveau ? Ni plus ni moins que notre version des histoires de sorcières empoisonneuses. Ti-Jean ? On retrouve le personnage jusque dans les contes de l’Île de la Réunion.  Le diable beau danseur (Rose Latulipe) ? Si Jean Du Berger en a recensé plus d’une centaine de versions, il a également démontré que le personnage « se perd progressivement dans le tourbillon des êtres surnaturels qui venaient enlever de belles mortelles » de la Bretagne au Nouveau-Mexique.  Les récits d’hommes forts, de loup-garous ou de revenants ?  On les retrouve partout. La Belle jarretière verte ?  Clairement des motifs celtiques.  Et après ?  C’est tout ?  Bien sûr, les contes traditionnels canadiens-français (on les retrouve de l’Acadie à l’Ontario français, et au-delà) se sont enrichis d’éléments originaux et uniques, mais je ne suis pas sûr que c’est ce que nous mettons en valeur lorsque nous les racontons…

Selon moi, une partie du problème provient du fait que les conteurs eux-mêmes connaissent peu le répertoire traditionnel.  Je m’inclus là-dedans.  Que le public québécois connaisse mal nos histoires est probablement excusable, mais que les conteurs qui devraient les lui rappeler ne les connaissent pas non plus devrait probablement nous inquiéter…

De ce que j’entends, faire du conte traditionnel au Québec en 2011, c’est comme pour le pâté chinois…  On sait que ça vient de chez nous, mais on ne saisit pas trop ce que ça a de particulier, alors on applique la recette :

  • Un petit fond de « viande » légendaire ou patrimonial que l’on étire au maximum.  La substance de base… pour ce qu’il en reste.
  • Une rangée de blé d’inde sucrée d’humour, de costumes et d’accents pour l’exotisme (mais peut-être devrait-on parler ici d’« endo-tisme » ?).  Ça n’a pas grand-chose à voir avec le fond, mais ça met de la couleur et ça fait festif…
  • Autant de patates pilées que possible pour que ça tienne ensemble et que ça bourre l’habitant (des détails et des apartés, souvent des anachronismes, qui ne servent pas vraiment l’histoire mais qui plaisent au public).  Faut bien faire oublier le manque de viande…

Remarquez que j’aime bien ce pâté dit de Chine avec pour légume une céréale indienne…  Voilà un plat confus bien de chez nous!  Il me rappelle ma mère (-patrie) et me rassure.  C’est un repas de semaine, de l’« ordinaire »… Et il en faut.  Sauf que ce n’est pas là où elle montrait son savoir-faire en cuisine.  Lorsque c’était fête, elle sortait la belle vaisselle et préparait des pièces de choix : des gigots et des ragoûts qui braisaient et mijotaient longtemps.

Conter le Pays, même en toute légèreté et avec l’objectif de divertir, c’est quand même positionner son imaginaire dans le temps et dans l’espace.  C’est évoquer une époque et un territoire, si abstraits ou farfelus soient-ils.  Il m’apparaît qu’en tant qu’artistes les conteuses et conteurs ont la responsabilité d’ouvrir l’idée de Nation à autre chose qu’un camp de bûcherons consanguins.  Paradoxalement, je crois fermement que cela passe par une excellente connaissance de notre folklore, dans tout ce que cette expression représente de riche et de contemporain.  S’il faut laisser de la place à la création, il faut aussi avoir fait ses devoirs, savoir de quoi l’on parle. L’invention ne devrait pas se substituer au manque de recherche et de rigueur.  Pour aller vers l’Autre – et à fortiori vers l’Ailleurs – il faut savoir d’où l’on vient.

Et l’an prochain, quand les organisateurs du Mouvement national des québécoises et québécois auront changé de thème, pensez-vous vraiment que l’on sera réinvité autour des feux, pour accompagner les chansonniers?  J’ai bien peur que l’on retournera dans l’ombre, avec les vieilleries d’antan…  Ce n’est évidemment pas ce que je souhaite.  Je nous voudrais essentiels, qu’il soit inimaginable de fêter la St-Jean sans entendre des histoires.

Pour ce faire, on a encore du boulot devant nous.  À l’ouvrage !

MAJ 10/07/2011 :

Le conteur Steve Bernier a répondu à ce texte dans un billet sur son propre blogue, suscitant à son tour diverses réactions.  Je suis bien content que les gens en discutent.

En ré-entendant ces vers de Dédé Fortin, je les ai trouvé fort à propos :

« Condamné par le doute, immobile et craintif,
Je suis comme mon peuple, indécis et rêveur,
Je parle à qui le veut de mon pays fictif
Le coeur plein de vertige et rongé par la peur »

Une réflexion sur « Conter le Pays »

  1. Mmmm… encore de tes réflexions qui nous portent à se questionner. C’est vrai que beaucoup font un peu du « n’importe quoi contrôlé » pour divertir (et ça marche, apparemment…) sans connaître le fondement, la provenance et les éléments incontournables de l’histoire qu’ils racontent. Parfois même, et je m’inclus dans le lot, on ne comprend pas vraiment ce qu’on raconte. On conte pour conter (mais quoi? comment? bof…)… et c’est ça qui devient un peu « dangereux » pour la profession. Il est vrai que chaque conteur a ses aspirations et sa façon de voir le conte, mais la base, c’est d’en CONNAÏTRE un minimum.

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